Natalis ANQUIER

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Livre d'Or des Tréteaux pages 140 et 141
 
     
   
           
           

Des Tréteaux sublime magicien,
Créant acteur et musicien,
Parfois de l'âpre captivité,
Tu bercas la sévérité.

De notre théatre, toi grand champion
Dirigeant sans cesse l'illusion,
Dans nos coeurs tu fis alors renaitre,
L'espoir, notre quotidien maître.

Evoquant plus tard la fiction,
Qui animait chaque jour d'action,
Notre souvenir en son fichier,
Aura gardé un nom: ANQUIER

Yves Vitré
C'est très difficile, de mettre correctement au point la biographie du très sympathique Directeur des Tréteaux, car l'on risque d'omettre de nombreux détails concernant son activité et celle-ci , dois-je dire, tiens presque du prodige.
Anquier est en effet, un homme très corpulant, bâti comme un haltérophile, mais cela ne l'empêche pas d'être d'une vivacité peu ordinaire, il ne tient pas en place une seconde, il faut qu'il s'occupe constamment de quelque chose, et ce quelque chose là est très intéressant car il concerne "les loisirs".
Et les loisirs , quel débarassement à nos tourements ! mais il faut les organiser...et justement, sur ce sujet Anquier, plus familièrement appelé "Nata" est à la hauteur de la tâche qu'il a pris l'initiative d'assumer.
Parlons tout d'abord du Théâtre puisque c'est la partie la plus importante, notre Directeur a monté avec ses moyens de fortune, une scène et, fin comme un limier, avec son talent habituel, est parvenu immédiatement à découvrir des talents ignorés.
Petit à petit, les acteurs, ou tout au moins ceux qui se sentaient des dispositions pour la scène, prêtèrent leur concours et encouragèrent Anquier.
Par leurs bonnes volontés et leur application à perséverer dans ses efforts, Nata se dépensa lui-même, non seuleument en écrivant des pièces diverses, mais en les interprétant et se réservant même le rôle le plus écrasant.
Mettant à profit sa profession d'architecte, il n'hésita pas à fabriquer les décors (toujours avec des moyens rudimentaires mais parvenant à les rendre parfaits).
Plus tard, heureusement, à la faveur d'un changement de kommando, il trouva plusieurs camarades, également dévoués pour le suppléer "Aux décors".
C'est lui qui également, composait les affiches, il a trouvé depuis un collaborateur d'envergure en la personne de notre charmant ami Paul Bumont.
Il s'occupe entièrement de la mise en scène, et ce n'est pas une petite besogne, elle ne souffre d'aucune omission, même des plus petits détails.
Je ne puis me permettre d'énumérer les principaux rôles qu'il a occupés avec sa puissance de composition habituelle, puisque sur ce "Livre d'Or", les pièces elles-mêmes ont été passées au crible de la critique, mais je puis affirmer qu'il a toujours joué ses rôles avec naturel et avec l'émotion qu'il fallait, sans jamais forcer la note. Je puis cependant obligé d'attirer l'attention sur la façon magistrale dont il a interprété le rôle de "Bourrachon", créé par Signoret au théatre Antoine; le rôle était donc "pesant" comme succession mais notre ami s'est joué aisément des difficultés et je crois que les mânes du grand artiste disparu n'ont pas dû rougir.
Toutes les pièces qu'il a écrites (il a abordé tous les genres: drame, comédie, vaudeville, etc...) ont eu un succès égal.
Certaines ont particulièrement plu: "La Madone aux Fleurs", "Les Bas Fonds". La dernière pièce écrite de lui: "Femmes de France" drame en 3 actes, si elle aborde un sujet délicat (ou notre situation de prisonnier est évoquée) n'en est pas moins bien construite et elle a été très bien interprétée, notamment par:
Louis Houfflin, qui en était la grande vedette féminine. Tout dernièrement, il a monté "Bourrachon" et "Dormez-vous", pièces écrites par des auteurs connus et ayant foulés les scènes parisiennes, c'était peut-être osé, mais le résultat a été très favorable, car ces 2 pièces si elles n'ont pas eu un succès égal, (la première ayant plu particulièrement) n'en n'ont pas moins été interprétées toutes deux d'une façon parfaite, tous les acteurs avaient pris conscience de leur rôle.
Il s'intéresse également à l'orchestre, il regrette, et l'on sent qu'il est sincère, de ne pas être musicien (sans doute déploierait-il encore là, une partie de son activité, non seulement en jouant un instrument, mais aussi e composant!...mais je ne veux pas anticiper, car Nata pourrait croire que j'ironise, alors que je m'exprime sérieusement).Mais cela ne l'empêche pas de dire son petit mot, et il a du goût, pour la confection des programmes, il connaît son public, aussi, il désire avant tout que l'on joue de la musique facile et entrainante; il n'a pas tord je crois car nos braves camarades affectionnaient cette musique capable de les tenter à danser.
Lorsqu'il n'y a pas scéance théatrale, il s'efforce de distraire le Kdo en organisant soit des matchs de belotte, dames, échecs, soit des loteries.
La question du sport ne le laisse pas indifférent. Il a participé d'ailleurs lui-même dans sa jeunesse (il est encore jeune, je ne voudrais pas le froisser) je devrais dire il y a quelques années, à des matchs d'athlétisme, et il a plus d'une fois, occupé les places d'honneur et même un certain titre de "Champion de Paris".
Il a, avec l'aide de Baranton et d'autres, constitué une équipe de foot-ball qui s'est assez distinguée, il n'y a pas longtemps en matchant contre le Kdo de Saarlautern, mais qui malheureusement dû s'incliner, mais de peu, le score ayant été en effet de 1 à 0. N'oublions pas non plus les passionnantes parties de basket-ball de Dillingen et les récents matchs de ping pong dans ce Kdo. Il a eu aussi l'idée avec Gilles, d'organiser une Exposition d'oeuvres faites entièrement par les prisonniers, en quelque sorte une oeuvre artisanale. Il y eut des ouvrages remarquables, témoignages d'ouvriers compétents, spécialistes du travail du fer ou du bois.
Bumont, notre artiste dessinateur, avait également exposé de nombreux portraits si ressemblants, qu'il avait dessinés avec son talent habituel.
Le côté social ne lui a pas échappé; il a pensé aussi à la solidarité (ce n'est pas un vain mot lorsque l'on est prisonnier). Les malades et les accidentés, ne touchant aucune rétribution, il avait donc créé à Dillingen avec l'assentiment général une "Mutuelle" destinée, le cas échéant, à faire verser une modeste allocation à ces camarades pour leur permettre de couvrir certains frais (achat de bière, cigarettes et fournitures indispensables telles que: savon, cirage, etc...) Les adhérents n'avaient qu'une cotisation minime à payer chaque mois.
Des cours divers fonctionnaient aussi, tels que: celui d'Allemand et de Médecine élémentaire et étaient fréquentés assidument par un assez grand nombre de camarades. Notre ami Anquier se préparait à enseigner une fois par semaine "Les Mathématiques" quand le changement de Kdo survint.
J'ai dépeint le caractère artistique de Nata, mais je ne vous ai guère entretenu de ses qualités morales. Sachez qu'il est toujours d'une humeur égale mais parfois je le trouve sombre et discret; je n'ai pas besoin de l'interviewer, j'ai deviner ce qu'il ressent; il pense à ses deux Odette, sa femme et sa grande fille de 12 ans, il songe que voici plus de deux ans qu'il ne les a pas vues, c'est un sentimental. Il s'amuse et distrait ses camarades, mais c'est un dérivatif à son chagrin bien compréhensif.
Nous sommes, hélas, plusieurs dans son cas, et moi-même je suis attiré par lui, car nous éprouvons les mêmes sentiments pour nos affections respectives et d'ailleurs nos femmes et nos enfants se fréquentent à Paris et nous en sommes heureux, cela adoucit la peine que nous avons d'être séparés d'eux.