Article de Top Famille

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Article du magasine TOP FAMILLE parut en juin 2000 "4 Mamans au fil du siècle"

4 femmes d'une même famille témoignent de leurs conditions de vie selon leur génération.

Maternité, éducation, partage de tâches, travail:

leur histoire raconte l'évolution, en un siècle, du rôle de la femme dans la famille. Emouvant.

 

Odette, 89 ans, 1 fille : Odette

 

Odette naît en 1911, place Gambetta à Paris.

Après le certificat d'études, elle obtient son brevet, « chose rare à l’époque »

Elle part un an dans un couvent anglais pour apprendre la langue de Shakespeare.

A son retour, cet atout lui permet de décrocher un emploi dans une boutique chic. 

Mais sa carrière s'arrête là. Elle a 19 ans et vient de retrouver Natalis, un voisin perdu de vue depuis l’enfance.

« Il était très amoureux de moi », murmure Odette. 

Ses yeux devenus presque aveugles semblent perdus dans un ailleurs plein de jeunesse et de promesse.

« J'ai arrêté de travailler parce qu'à ce moment-là, ça ne se faisait pas quand on était mariée. »

De leur union, en 1930, naît la même année une petite... Odette. 

Odette part accoucher à la maternité Baudelocque, qui la renvoie chez une sage-femme du quartier, faute de place. « Je suis restée quatre jours en douleurs.  J'aurais dû avoir une césarienne. »

La petite naît cyanosée et Odette, traumatisée, ne voudra pas d'autre enfant. Son jeune mari entre dans un cabinet d'architecture.

« Il partait le matin.  Je faisais les courses, le ménage... J'attendais qu'il rentre pour porter la lessiveuse sur le feu. Je m'occupais de tout, lui lisait son journal. Il ne m'a jamais aidée et ça ne me serait pas venu à l’esprit de le lui demander. Il grondait juste la petite quand elle n'était pas première de la classe. 

C’était un vrai chef de famille, autoritaire. Aujourd'hui, je suis épouvantée, les jeunes ne respectent plus leurs parents. »

En 1939, Natalis est fait prisonnier et reste cinq ans en Allemagne. Odette, désormais seule avec sa fille, sans revenus, trouve un travail à la mairie comme dactylo et facturière. Toutes deux souffrent de la faim, mais Odette parvient tout de même à envoyer des colis à son mari. Quand il revient en 1945, c'est un homme brisé.

Il se met à boire et meurt en 1955. Odette est veuve à 44 ans. Deux ans plus tôt, elle était entrée à l’URSSAF; elle y restera dix-huit ans, en grimpant tous les échelons du service contentieux... à sa grande fierté.

Aujourd'hui, elle vit à Romainville, près de sa fille. 

Sa cécité et une mauvaise chute lui ont fait perdre son autonomie. 

Elle ne veut plus sortir, même pour les fêtes de famille.

 

 

1900. l'espérance de vie est de 47 ans.

1907. Les femmes mariées peuvent disposer de leur salaire.

1910. Les femmes abandonnent peu à peu le port du corset.

1920. Vote d'une loi punissant l'avortement ,qualifié de "crime contre la nation".

1924. Les études secondaires deviennent les mêmes pour les garçons et les filles.

1928. Premiers congés de maternité payés.

     

Odette 70 ans, fille d’Odette, 3 enfants

 

La petite fille qui naît en 1930 toute cyanosée, c'est elle, Odette, prénommée comme sa mère.

« Un cadeau empoisonné que ce prénom. Dans la famille, on n'a jamais su de qui on parlait :

Odette La petite, la grande, la vieille, la jeune? »

Elle se souvient d'une enfance heureuse :

« J'allais dans une école de filles. Il fallait être sérieuse, bien travailler, obéir.

A l'époque, c'était ça la bonne éducation. Avant 20 ans, pas question de voir des copines ni de sortir. »

Excellente élève, elle décroche son brevet :

« J'aurais pu aller au Lycée, dit-elle avec regret, mais pas question de faire des études, ça coûtait trop cher.  Alors, moi qui rêvais d'être sage-femme, je me suis inscrite dans une école de secrétariat médical. »

Mais à 20 ans, elle a le coup de foudre pour Serge, commis dans le cabinet d'architecture où travaille son père.  Six mois plus tard, ils se marient et, la même année, naît Patrice, suivi l’année suivante d'Hervé.

« Mes deux accouchements à l'hôpital ont été terribles. J'étais seule avec ma douleur et les sages-femmes nous traitaient de douillettes si on avait Le malheur de crier. »

Comme sa mère, elle va mettre en veilleuse ses aspirations professionnelles :

« En ce temps-là, les femmes n'avaient pas te choix. Une fois tes bébés là, il fallait les élever. 

Moi, j'aurais eu la pilule, j'aurais fini mes études, passé mon diplôme de sage-femme. J'ai eu mes gamins trop jeunes. » La famille quitte Paris pour un appartement de quatre pièces avec tout le confort dans la cité Maurice Thorez à Romainville. Mère au foyer, Odette se souvient de cette vie de femme, souvent difficile :

« Mon mari avait sa jeunesse à vivre, il était volage, dit-elle pudiquement pour ne pas s'appesantir sur des souvenirs encore douloureux. Je n'arrêtais pas de la journée. Lui n'a jamais donné un biberon. 

Et moi, j'en ai lavé des couches! J'ai eu ma première machine à laver en 1957. 

Serge était souvent en déplacement, rentrait à t'heure qui l'arrangeait, ne s'occupait de rien sauf de la scolarité des enfants. J'avoue avoir eu l'idée de divorcer plusieurs fois. Mais voilà, sans métier, avec trois enfants, j'avais peur.  Et puis c'était encore très mal vu. »

Le visage d'Odette s'obscurcit :

« Le plus dur, c'était chaque mois, quand la date des règles approchait. J'ai vécu dans la terreur d'être enceinte et j'ai dû avorter dans des conditions terribles. On savait bien qu'on risquait sa vie. Ce sont de très mauvais souvenirs, mais je n'avais pas le choix. Pourtant, nous avons consulté des médecins pour nous aider à trouver une contraception efficace, en vain. La pilule, c'est vraiment une invention formidable pour les femmes et leur sexualité.  Quand j'en entends qui râlent parce que c'est trop cher, je me dis qu'elles exagèrent. 

Cette tranquillité n'a pas de prix. »

En 1957, naît Nathalie, avec la méthode Leboyer dite de « l’accouchement sans douleur ». Odette en garde le souvenir d'un accouchement merveilleux avec des gens gentils qui s'occupaient d'elle.

A 39 ans, une fois ses enfants sur les rails, Odette décide de travailler.

« J'avais envie de sortir de la maison, de connaître autre chose. »

L’hôpital intercommunal de Montreuil lui offre un emploi d'agent de bureau et ensuite, elle restera vingt-six ans au centre médico-social de la mairie, jusqu'à 65 ans. De ce long passage dans la vie active, elle ne garde qu'un regret :

« Ne pas avoir eu assez de temps pour m'occuper de mes sept petits-enfants. Mais je me rattrapais en les emmenant en vacances. »

Aujourd'hui, Odette vit toujours à Romainville avec Serge. Ils s'apprêtent à fêter leurs cinquante ans de mariage.  Pour le meilleur et pour le pire.

 

 

 

1930. Le docteur Ogino apprend à des milliers de femmes à connaître leur cycle.

1932. Premières allocations familiales.

1936. Semaine de 40 heures et deux semaines de congés payés.

1942.L'avortement est qualifié par le régime de Vichy de "crime contre la sûreté de l'état" et passible de la peine de mort.

1944.Les femmes obtiennent le droit de vote.

1947.Plus fort taux de natalité avec trois enfants par femme.

     

Danielle, 49 ans, belle-fille d’Odette, 4 enfants

 

C’est dans une famille d'ouvriers que Danielle voit le jour en 1951

A 17 ans, elle travaille déjà : chez Renault, puis à l’hôpital de Montreuil comme aide-soignante. 

Elle rencontre Patrice, le fils d'Odette, qui habite La même cité.  Au bout de six mois, ils s'enfuient et emménagent dans un meublé.

« On voulait se marier, mais mon beau-père disait qu'on était trop jeunes, sans argent, sans métier. »

Finalement, un peu pour leur forcer la main, ils décident de faire un bébé. 

Franck naît en 1970 et les jeunes parents, toujours mineurs, obtiennent l’autorisation de convoler. 

En 1973, naît sa fille Virginie. Danielle se souvient de ses deux accouchements comme d'épreuves solitaires,

« Sans mari à côté et une sage-femme jamais là ». Ce sentiment de solitude, elle éprouve aussi dans éducation de ses enfants : « Je gardais Les soucis pour ne pas contrarier mon mari, qui a travaillé dur.  Aujourd'hui, il est cadre chez Thomson, ajoute-t-elle non sans fierté.  Mais, pour lui permettre d'en arriver là, elle se sacrifie. 

Pas question de s'investir dans un travail : elle alterne petits boulots et chômage, travaillant le plus souvent à temps partiel pour pouvoir s'occuper des enfants, être à la sortie de l’école ». C'est Patrice qui insiste pour avoir un troisième enfant, puis un quatrième.

« Moi, je travaillais, je n'avais pas trop envie de m'y remettre. Pourtant, j'ai vraiment beaucoup plus apprécié d'élever mes deux dernières filles; j'avais l'impression d'être plus compétente. »

Grande première, pour la naissance de sa troisième fille, Audrey, en 1979, Le père est présent.  Pour élever cette enfant, Danielle prend un congé parental d'éducation. Elle fera de même en 1989 pour Olivia, qui naît sous péridurale sous l’oeil émerveillé de ses deux parents. Aujourd'hui, elle travaille à plein temps et le week-end, pouponne ses petits-enfants.

« Je n'ai pas perdu la main, il n'y a que sept ans d'écart entre ma fille et mon petit-fils. »

Quand Danielle a appris que sa fille prenait un congé parental, elle ne l’a pas encouragée :

« J'espère qu'elle va tenir le coup, toujours toute seule à la maison. Moi, j'étais énervée et c'était leur père qui prenait.  Et puis, socialement, on est moins bien considérée. »

 

 

1954.La moitié des familles seulement disposent de l'eau courante et un quart d'un WC intérieur.

1959. Invention de la couche-culotte et naissance de la poupée Barbie.

1963. Mise sur le marché de la pilule.

1965. La femme a le droit d'exercer un emploi sans l'accord de son mari.

1970. L'autorité paternelle est remplacée par l'autorité parentale.

     

Virginie, 26 ans, fille de Danielle, 2 enfants

 

Virginie naît à Montreuil en 1973.  Elle a 18 ans quand Odette, sa grand-mère l’a fait entrer à l’accueil des urgences de l’hôpital de Montreuil. Elle vient de rencontrer Frédéric, avec qui elle se met en ménage aussitôt. Fiançailles, mariage. « Très vite, on a eu envie d'avoir un enfant. » Ils fêtent leurs 22 ans quand Alexandre vient au monde. « L’accouchement s'est bien passé. Je n'ai senti grâce à la péridurale. »

Les horaires des urgences, calqués sur ceux des infirmières, ne simplifient pas la vie de famille, même si Frédéric met la main à ta pâte. « Le matin, c'est lui qui s'occupait du bébé. » Virginie demande son changement, à regret. « Je me suis retrouvée au service contentieux, nettement moins drôle comme boulot.  Alors, quand Miguel s'est annoncé, j'ai pensé au congé parental. » Virginie et Frédéric, magasinier chez Fiat, font leurs comptes.  Entre [a nourrice, la cantine, la garderie.... en prenant l’APE, Virginie ne perd que 500 F par mois.  Elle décide donc de devenir mère au foyer.

L’avenir, ils le voient ailleurs qu'à Montreuil, à la montagne ou au bord de la mer, pour une meilleure qualité de vie, et aussi pour éloigner leurs enfants de la violence. « Depuis qu'il est à l’école, Alexandre a une attitude de caïd.  Moi, j'ai grandi dans une cité où l’on avait du respect pour les adultes.  Aujourd'hui, si un adulte a le malheur de faire une réflexion, on crève les pneus de sa voiture... C'est sûr, je ne serai pas femme au foyer toute ma vie, même si mon mari m'aide beaucoup. Quand je craque, il me dit : « Va te promener, je m'occupe de tout. » Ça me fait plaisir de le voir comme ça avec ses fils.  Je lui fais confiance. »

 

 

1975. Vote de la loi Veil autorisant l'IVG.

1978.Naissance du premier bébé éprouvette.

1984.Création d'un congé parental ouvert aux deux parents salariés.

1985.Le mari "chef de famille" est remplacé par l'autorité parentale conjointe.

1990.L'espérance de vie moyenne est de 82 ans pour les femmes.